vendredi 8 février 2013

Réimpression de La Philosophie de la Liberté dans la traduction de Frédéric Kozlik

Le livre La philosophie de la liberté

 A propos de la traduction, qui peut surprendre, un extrait de l'introduction de Frédéric Kozlik:

 Nous voudrions terminer cette présentation par quelques réflexions sur notre traduction livrée au lecteur, considérations faites en pleine connaissance de l'existence impérissable du traduttore‑traditore, sempiternelle métamorphose d'interprète, émergeant, tel un inextirpable serpent de mer, à chaque transvasement linguistique ! Nombreux sont les passages dans l'œuvre de Rudolf Steiner où des touches se veulent d'aider le lecteur à mieux se situer par rapport à ce qu'est la Philosophie de la liberté. L'une de ces mentions compare cette œuvre à un organisme vivant dont il ne serait pas possible d'intervertir des organes ou autres constituants. La Philosophie de la liberté n'est ainsi pas à prendre comme un contenu de concepts, mais plutôt comme une partition de musique, exigeant du lecteur une participation chronologique. Et tout comme le sens d'une œuvre musicale ne réside pas, en fin de compte, dans la connaissance de tel motif ou de telle articulation harmonique, de même le sens de la Philosophie de la liberté réside moins dans la connaissance de son contenu que dans la participation active au déroulement, étape par étape, de son activité devenant de ce fait celle du lecteur. A y regarder de plus près, on s'aperçoit de plus que non seulement les chapitres et les paragraphes ne sont pas interchangeables, mais que les phrases elles‑mêmes, dans leurs structures internes, participent de cette construction non inversible. Le choix ayant guidé notre traduction est par conséquent le suivant : vu qu'une telle activité demandée au lecteur – processus assurément nouveau dans la production philosophique – est difficilement compatible avec le conventionnalisme de notre langue élaborée dans d'autres états de conscience, nous avons renoncé dans toute la mesure du possible à l'emploi idiomatique du français. Nous avons estimé possible de puiser dans la potentialité de notre langue tout de même non figée par des compilations passées d'auteurs, afin de permettre au lecteur l'abord de ce que la traduction d'un ouvrage tel que celui‑ci voudrait présenter : le cheminement de la pensée voulu par l'auteur. Et c'est ici que nous rappelons le caractère de compte rendu d'expérience que porte tout l'ouvrage, et que nous avons essayé de rendre au maximum pour l'essentiel du texte : non pas en nous attachant, comme on pourrait parfaitement le concevoir, à "épouser le style de l'auteur", mais en essayant de "rendre compte" d'une expérience intérieure, lucide car soudée à la pensée, nécessaire à l'abord de ce fondement de l'anthroposophie, et de ce fait acceptée par le lecteur, ne fût‑ce qu'à titre de renseignement. Il ne viendrait à l'idée de personne de croire qu'une simple prise de connaissance des idées d'un drame par exemple, puisse constituer une catharsis dont parlait Aristote. Le spectateur se doit, s'il veut pénétrer l'œuvre dans ce qu'elle est, de participer à toute l'articulation chronologique, pour vivre éventuellement une évolution de son moi. Ici, Rudolf Steiner réunit en l'authentique moi humain en devenir, la triade existant dès l'avènement par l'hellénisme de l'ère de la pensée, à savoir le divin, l'Univers, et l'individu pensant : monisme intégralement immanent pour Rudolf Steiner, devant être conquis pas à pas, et fondant ainsi par ce qu'il est et par ce qu'il exige, toute la science, dite spirituelle, que sera l'Anthroposophie. Le texte allemand ne fait pas partie, à proprement parler, du langage écrit au sens habituel de ce terme, même si l'on infléchit le regard sur l'écriture par la prise en considération de son caractère narratif, conformément d'ailleurs à l'épigraphe : ce texte préfigure, en fait et résolument, le futur message oral de son auteur, qui se déroulera dans ses formes publique et acroamatique durant un quart de siècle, donnant naissance à une œuvre de plus de trois cents volumes, rendue finalement entièrement publique par Rudolf Steiner lui‑même. Il est des textes qui constituent un véritable dialogue : monologue primordial de l'écrivain, se métamorphosant en dialogue par la complicité du lecteur reprenant pour son compte, et simultanément avec l'auteur imaginé présent, le message. En lisant – en pratiquant – la Philosophie de la liberté dans le texte, on ne peut s'empêcher de vouloir lire à haute voix cette composition, pour donner aux phrases un relief que l'écriture, inévitablement dépourvue de moyens diacritiques sur le plan des nuances sémantiques – mis à part l'esseulée italique –, appelle et ne peut donner. Le texte français ne peut ainsi, lui non plus, dans son essai de restitution fondamentale, être considéré comme un texte écrit et muet, que l'on balaierait simplement d'un regard niveleur dans la seule fixation de ses concepts, espérée aisée de surcroît. La Philosophie de la liberté demande une lecture à haute voix même si celle‑ci n'est ouïe qu'intérieurement. Ou plutôt la lecture qu'exige cette œuvre authentiquement dramatique : celle d'un drame de l'homme moderne... Et en fin de compte : un but essentiel de l'œuvre est de hisser le lecteur vers ce que Rudolf Steiner appelle la pensée pure. Ce que cette pensée est, apparaîtra au fil des développements ; mais l'une de ses caractéristiques peut dès maintenant être relevée : la pensée pure ne s'exprime plus par des mots. Le message écrit ou transposé n'est pas, de ce fait, une finalité linguistique. Toute écriture ne peut être qu'un prétexte pour son propre abandon, et renvoie par conséquent à ce qui, par essence, n'est plus exprimable : la jonction dans le penser entre le sensible et le suprasensible.